Julie, son message en tant que fille d'assistant familial en protection de l'enfance

 
Il y a 7 ans maintenant, mon père m’annonçait qu’il allait devenir assistant familial. J’avais 15 ans et c’était très abstrait pour moi. Je vivais seule au domicile familial, mes deux grandes soeurs l’ayant quitté il y a un moment déjà. Mes parents m’ont expliqué : des enfants ayant été maltraités viendront habiter chez nous afin d’être mis en sécurité.

Mon père s’occupera de les emmener à l’école, de les accompagner à leurs diverses rendez-vous et de les aider à se développer de manière harmonieuse.

C’était beau, c’était clair, ça donnait envie. Une promesse m’avait été faite par mes parents et par les services sociaux : tu ne seras pas impliquée et on te protègera en cas de difficultés. Presqu’un an s’est écoulé avant que l’on accueil enfin un enfant. Pour des raisons évidentes, tous les prénoms des enfants concernées seront ici anonymisés.

Ainsi, Ahmed est arrivé à notre domicile. Ahmed avait 8 ans lorsqu’il nous a été confié. C’était un enfant qui avait de gros troubles du comportement et nous étions sa première famille d’accueil. Ahmed était un petit garçon plein de tendresse mais qui ne savait pas gérer ses émotions. Il criait, tapait et s’énervait dès qu’il devait faire face à une frustration. Les premiers jours qui ont suivis son arrivée ont été pour moi déterminent dans ma construction en tant qu’adolescente. Je me sentirais toujours coupable d’avoir ressentie ces émotions, mais sur le moment, j’ai détesté Ahmed. Ses colères étant si fortes et mes parents n’étant clairement pas formés dans la gestion de ces dernières, ma maison devenait un enfer.

Quelques mois après l’arrivée d’Ahmed et dû à des crises de plus en plus importantes, il a été confié à une autre famille d’accueil et plusieurs enfants se sont relayés à la suite de son départ. Mon père travaillant principalement avec les services d’urgence, les placements étaient bien souvent courts et ne nous laissaient que très peu de temps pour trouver un rythme. Pendant cette première année d’accueil familial, j’ai eu des difficultés à accepter les enfants confiés à notre domicile. Je n’ai d’ailleurs pas été accompagnée pour que les choses se passent au mieux. J’ai toujours été honteuse de ne pas investir ce métier comme tout le monde s’attendait à ce que je le fasse. Je me sentais seule, abandonnée mais surtout, en danger.

A la suite de nombreux accueils, c’est Lucie qui nous a été confiée. Lucie avait 3 ans lorsqu’elle est arrivée et je suis tombée amoureuse de son regard et de ses blagues si drôles bien qu’elle soit si petite. Lucie m’a fait découvrir un nouvel aspect du métier d’assistant familial car pour la première fois depuis que mon père avait commencé, je ressentais un amour inconditionnel pour un enfant confié. Quelques semaines après l’arrivée de Lucie au sein de notre famille, les services de l’Aide Sociale à l’Enfance ont proposé à mes parents d’accueillir une deuxième petite fille, Eva, 4 ans. Je me suis opposée très vite à cet accueil qui me paraissait prématuré par rapport à l’arrivée si récente de Lucie. Personne ne m’a écouté et Eva a été accueillie.

C’était une petite fille très calme et attachante. Mais comme je l’avais prédis, Lucie n’a pas réussi à lui laisser une place au sein de notre foyer. Lucie ne dormait pas. Elle refusait de prendre son bain. Elle hurlait lorsque mon père accordait du temps à Eva.

Lucie était en souffrance, elle avait peur, elle ne se sentait pas en sécurité et du haut de ses 3 ans, elle ne pouvait l’exprimer autrement. Alors j’ai passé des nuits entières à la bercer et à la rassurer. J’ai passé des mercredi après midi entiers à essayer de lui faire prendre un bain ou à essayer d’accrocher un sourire sur son visage fatigué. J’ai géré ses crises, ses larmes, ses peurs. J’ai pris sur mes épaules d’adolescente, la souffrance de cette petite fille. Mes parents étaient accompagnés par les services sociaux dans cette période difficile. Ils ont bénéficié de groupes de parole, de rendez-vous avec les référents des enfants pour discuter de la situation. Cependant moi, je n’ai pas eu cette chance. J’étais tout aussi impliquée qu’eux dans cet accueil mais je n’ai bénéficié d’aucun accompagnement.

Eva a finis par quitter notre foyer, la situation devenant une source de souffrance trop importante pour Lucie et c’est Adèle qui s’est installée chez nous. Adèle avait 11 ans et tout comme pour Eva, j’étais opposée à son arrivée. Je voulais du temps pour souffler, pour retrouver mes parents, pour retrouver un rythme calme et sécurisant. Et tout comme pour Eva, je n’ai pas été écoutée.

Adèle était obsédée par moi. Ses poupées portaient mon nom, ses jeux inventés étaient basés sur ma vie, son activité préférée étaient de « faire comme loulou ». Je me suis sentie en danger. Je m’enfermait à clé dans ma chambre la nuit pour ne pas qu’elle y rentre. J’avais peur. Mon père a alerté les services. Rien n’a été fait et Adèle est restée 1 an chez nous. Pendant 1 an j’ai évité d’aller dans ma propre maison, fuyant dès que je le pouvais.

C’est suite à l’accueil d’Adèle que je me suis décidée à devenir assistante de service social. C’est peut être stupide et utopiste mais il était nécessaire pour moi d’essayer de faire évoluer cette partie du métier d’assistant familial. Car si cette histoire se base sur mon expérience personnelle, elle s’appuie aussi sur tous les témoignages d’enfants d’assistants familiaux que j’ai rencontré et sur leurs ressentis du métier qu’exercent nos parents.

Les enfants des assistants familiaux sont tout aussi importants à prendre en compte que les assistants familiaux eux-mêmes et leurs vécus ne peuvent pas être minimisés ou mis sur le compte de la jalousie. Qu’ils aient 6 ou 15 ans, ils voient, entendent et ressentent les situations des enfants accueillies dans leur maison. Ils doivent, peu importe leur âge, vivre avec des enfants abîmés. Le but de la protection de l’enfance et de l’accueil familial est d’extraire des enfants en danger ou en risque de l’être, de leur foyer afin de les en protéger. Mais à quel prix ?

Aujourd’hui nous avons enfin trouvé un équilibre mais cela nous aura pris 5 ans.

Pendant 5 ans j’ai culpabilisé, j’ai eu peur, j’ai eu mal, j’ai eu honte, j’ai eu envie que tout redevienne comme avant, j’ai eu envie de mes parents rien que pour moi et personne ne m’a aidé. Aujourd’hui j’ai 22 ans et le métier de mes parents représente l’un des plus beaux métiers du monde pour moi mais il m’aura aussi tellement pris

Alors travailleurs sociaux et futurs travailleurs sociaux, j’en appel à vous aujourd’hui. Je sais à quel point il est difficile de devoir diviser son accompagnement entre les enfants, les parents et les accueillants familiaux mais s’il vous plait, prenez 5 minutes pour prendre en compte leurs enfants. Cela peut ne passer que par un appel téléphonique, un regard, une main tendue, une proposition d’accompagnement psychologique. Prenez les en considération, impliquer les pour de vrai, expliquer leur que leurs émotions sont normales et que ressentir de la colère ne fait pas d’eux de mauvaises personnes.

Vous pouvez tout changer pour ces enfants et adolescents tout aussi en détresse. Mais j’en appel aussi à tous les assistants familiaux et futurs assistants familiaux. Je sais au combien votre métier est compliqué : il demande une implication constante, pris entre enfants confiés et services bien souvent surchargés.

Votre formation ne vous permet pas d’appréhender les difficultés de certaines situations et il vous ait bien souvent demander de faire avec vos propres moyens. Mais ayez en tête que vos enfants, présents à domicile, sont aussi impliqués dans votre activité. Prenez le temps de les écouter, de comprendre leurs réactions et surtout de prendre en compte leurs avis. Proposez leur un accompagnement psychologique pour qu’ils puissent comprendre leur place et leur rôle dans ce métier si complexe.

Si je devais conclure, je dirai que le travail de mes parents m’a apporté énormément. J’ai découvert ce que c’était d’être une grande soeur et l’amour inconditionnel, à toute épreuve. J’ai découvert des enfants merveilleux qui m’ont fait grandir. J’ai découvert ma vocation. Mais j’ai aussi dû faire face à énormément de difficultés qui auraient pu m’être évité si quelqu’un, un jour, m’avait demandé comment j’allais pour de vrai.


Julie, fille d'assistant familial


Illustration de Morgane Evain

in Témoignages