Le récit de Marc

Résident d'une Maison Relais



​Dessin de la Maison Relais réalisé par un autre résident.


 
Au lancement de ce journal, je souhaitais commencer par recueillir les récits de personnes que j’avais déjà rencontrées. J’ai donc proposé cet exercice à Marc, résident de Maison Relais, lieu de l’un de mes stages en formation d’éducateur spécialisé. Faisant preuve de bienveillance à mon égard alors que je découvrais ce secteur, il fait partie de ceux qui m’ont appris mon métier par sa manière d’être et son investissement sur le collectif. Je suis donc heureux qu’il soit le premier à participer à l’aventure. 

Je précise ici que son nom a été modifié et les structures par lesquelles il est passé ne sont pas nommées dans une volonté de rendre son récit anonyme. Par ailleurs, afin que sa parole soit respectée, Marc a relu cet écrit avant publication. 


Vivant avec sa compagne depuis 40 ans dans une ville du Calvados, Marc a travaillé de longues années à la SMN de Colombelles puis en tant que paysagiste avant d’avoir des problèmes de santé qui l’ont éloigné du travail. Assis, chez lui autour d’une table, il commence par raconter un soir où sa vie a changé brutalement, le menant au fil du temps à son arrivée en Maison Relais. 

« Un soir avec mon ex j’ai pété les plombs. J’aurais été violent verbalement. Ma femme a appelé les pompiers mais je les ai mis dehors. Les flics sont arrivés ensuite. Ils m’ont emmené au CHU et je me suis retrouvé directement à l’EPSM (Etablissement Public de Santé Mentale). 

Le problème c’est que je ne m’en rappelle plus de cette soirée. J’avais pris des cachets, des excitants, et j’ai pété un câble. A l’hôpital mon fils est venu me voir pour me dire que mon ex demandait le divorce. Ça m’a porté un coup et j’ai plongé. J’arrivais plus à marcher et je suis resté prostré plusieurs jours. 

Pourtant y’avait pas de problème entre nous mais on était installé dans des habitudes. Elle a profité de ce soir pour me quitter, l’occasion fait le larron. Je suis resté 40 ans avec. On en parle pas avec mon fils, j’ai jamais vraiment compris cette histoire. Elle voulait continuer de travailler après sa retraite mais j’étais contre, j’aurais dû la laisser. J’étais pas facile à vivre je pense. Ça va faire 11 ans bientôt cette histoire. 

J’ai également appris que mon fils était schizophrène. C’était un coup en plus. Il a disparu pendant 1 an sans donner aucune nouvelle. Il dit qu’il avait été harcelé sur son lieu de travail. Et un beau jour il est revenu, un soir de réveillon, comme si rien ne s’était passé.» 

Suite à cette histoire, Marc passera 6 mois à l’Établissement Psychiatrique de Santé Mentale. 

« J’étais rassuré là-bas, pas de foule, rien.. Dans un cocon. Au début c’est pas simple, j’étais au fond. On avait qu’une ou deux douches pour 20 personnes et on était deux par chambre. J’ai perdu 20 kilos. Ils m’ont donné des traitements mais j’étais déjà sous anti-depresseur et anxiolytique. Je prenais déjà beaucoup de cachets ​avant l’hospitalisation, j’étais pas bien. Mais les infirmiers étaient nickels et petit à petit j’ai retrouvé la force. 

C’est eux qui m’ont demandé de partir. Je ne voulais pas. J’avais peur de sortir tout seul, j’avais jamais vécu tout seul. 

Je suis donc retourné vivre dans un appartement dont j’étais propriétaire. J’y suis resté 2 ou 3 ans avant de retrouver une compagne. J’ai tout quitté pour la rejoindre sur Flers. C’était le piège, arrivé là-bas il y a eu une nouvelle rupture et je me suis retrouvé à la rue. J’ai pris la voiture alcoolisé et j’ai eu un accident. A l’hôpital de Flers ils m’ont emmené en CHRS, j’y suis allé sans rien, juste la blouse de l’hôpital. J’ai fait quelques jours de 115 dans un baraquement à côté du Centre et la structure m’a gardé quelques temps. Ils m’ont proposé plusieurs solutions : appartement, maison relais... Ils m’ont fait les papiers retraite aussi. 

Moi je voulais revenir sur Caen surtout. Maison Relais ça avait l’air bien. C’est ce qu’il y avait de mieux pour moi. J’ai fait plusieurs visites en Maison Relais, j’ai eu des entretiens, et je suis arrivé ici, après quelques mois au CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) dans l’Orne. 

J’ai pas trop souffert, ils se sont bien occupés de moi. J’ai pas connu la rue. J’ai eu une vie paisible, c’est la fin qui se passe mal mais j’ai pas à me plaindre.» 

Marc entrera ensuite en Maison Relais. 

 Une Maison Relais est une structure d’insertion sociale accueillant des personnes vulnérables et isolées. Les personnes, résidente de l’établissement, ont souvent un long parcours de rue ou de soin psychiatrique. Contrairement au reste des structures de ce secteur, il n’y a pas de durée de séjour. Chacun à son appartement, les personnes paient un loyer, sont chez eux, et peuvent y rester toutes leurs vies si elles le souhaitent. Une équipe éducative est présente quasi quotidiennement pour accompagner les résidents dans leurs démarches et créer une présence humaine nécessaire à leur bienêtre. Des lieux collectifs permettent aux résidents de se rencontrer s’ils le souhaitent, leur permettant de maintenir une vie sociale et de parfois, créé des amitiés. Ce type de structure peut aussi s’appeler « Pension de famille ». 
Développé nationalement depuis 2006, elles ont été pensées pour lutter contre le fort isolement des personnes ayant des besoins de liens sociaux. Il a été constaté que pour des personnes qui ont un long parcours de rue ou de soin, il était difficile de retourner vers le logement dit « ordinaire » du fait de l’isolement vécu. Entre lien social sur le collectif et autonomie dans le logement, ces résidents retrouvent, au fil du temps, un rythme de vie et une confiance en eux. Ici, cette Maison Relais accueille 31 résidents et une équipe éducative de 3 travailleurs sociaux et animateurs est présent tous les jours de la semaine. Elle est gérée par une association d’Insertion Sociale du Calvados. Des sorties et animations sont régulièrement proposées pour créer du lien et faire vivre le collectif. Les accompagnements administratifs et accompagnements physiques sont également réguliers, les résidents ayant parfois de lourds problèmes de santé. 

« Quand je suis arrivé ici je ne savais plus rien. Ça m’a redonné confiance, ils m’ont fait comprendre que j’étais pas foutu. Ils m’ont responsabilisé. Avec l’équipe, on est dans l’échange. Ils ont toujours été là pour moi. Y’a une barrière comme on dit, c’est normal. Faut savoir garder ses distances pour pas trop s’attacher. Je les connais tellement ici, les caractères de chacun.. C’est une famille. Faut être poli, honnête avec eux. Y’a le respect. 

Tu fais ce que tu veux en Maison Relais du moment que t’emmerde personne. Tu peux rester ou chercher un appartement, c’est toi qui vois. Beaucoup se plaignent de leur situation mais j’aimerais bien les voir en appartement. 

Un jour quelqu’un de l’équipe m’explique que tous les gens qui vivent ici ont eu des problèmes dans l’enfance. 

Moi j’ai perdu mon père jeune. Ça part quand même de l’enfance. Les gars sont biens ici en général. Ça se créé tout seul les affinités ici. Tu vas voir ceux que tu as envie de voir. Les gens vivent leurs vies tranquille même si y’en a qui ont des problèmes avec l’alcool, c’est rare qu’il y ait des problèmes sur le collectif. Y’en a eu des bons ici quand même mais c’est très calme en général. Quand j’entends les histoires des autres gars, ils ont une vie dure, moi je ne me plains pas. J’ose pas leur dire que j’ai de l’argent de côté, je suis obligé de leur mentir. Ils pourraient se dire : « qu’est-ce qu’il fout là ce gars-là ». Ils ont tellement vécu de choses. Tout ce que je peux dire c’est que c’est plus dur à monter qu’à descendre dans la vie. La remontée est pas facile, moi je les juge pas. 

J’ai pas mal de problèmes de santé, j’ai des douleurs et je fais des insomnies. Le dernier coup j’ai pris trop de Seresta (anxiolitique), un voisin m’a retrouvé par terre et m’a ramené au pied de mon lit. Je ne m’en rappelle plus. Ça allait pas et le Seresta c’est pas fait pour en prendre une dizaine. Aujourd’hui je vais bien, l’appartement est petit mais je me sens bien dedans. De toute façon je changerais pas. Pour l’entretien c’est vite fait. L’équipe vient visiter de temps en temps, ils prennent un café et en profite pour regarder si je range bien. 

Par contre y’a plus personne au-delà de 16h30 maintenant dans l’équipe, et plus personne le weekend, sauf un dimanche par mois. Ce qui me manque c’est les soirées. Ils me disent que je ne descends pas quand ils sont là le soir mais c’est leur présence qu’est importante. De savoir qu’il y a quelqu’un. Et quand ils sont pas là les autres en profitent pour faire leurs conneries. 

J’aurais pas pu trouver mieux. Quand je suis arrivé là je pensais jamais m’en sortir. C’est pas la vie parfaite mais bon, je ne suis pas à la rue, je vais bien, faut pas non plus demander l’impossible. Et je finirais là, je sais pas comment, mais je finirais là. Ici je suis libre. Je ne pensais pas m’en sortir vraiment. »